Je crois qu’en tant que photographe il est vraiment impossible de se lasser des Lofoten …
Je me surprends moi-même à chaque voyage (j’ai dépassé la douzaine) d’être excité comme la première fois, d’abord par le voyage lui-même (nous arrivons finalement sur l’île de Vestvagoy dans un assez petit avion à hélices, par un vol semi-nocturne), et surtout par ce que je vais re-découvrir avec étonnement et émerveillement. Les montagnes sont immuables ou presque, mais la couche de neige, la météo variable, l’activité aurorale font que chaque stage représente une nouvelle aventure, un nouvel espoir de photos radicalement neuves … ce 2ème voyage photo Lofoten 2020 n’a pas fait exception, il était bien différent du précédent, et nous a apporté des images que je n’attendais pas – mais que j’accueille avec grand plaisir. 

Lofoten, tempête de neige sur un village isolé.

Lofoten, tempête de neige sur un village isolé. Nikon D5 et 24-70 2.8, 50 mm, 1/2500e à f8, iso 3200.

Ce voyage a été différent du précédent d’abord par les conditions météo (qui n’ont pas été toujours celles que vous voyez ci-dessus, malgré tout). Un joli petit coup de vent sur un paysage de neige apporte souvent son lot de belles images, si l’on sait s’adapter. Ici les rafales violentes m’ont poussé à sélectionner une vitesse supérieure au 1000e de seconde, en montant les iso sans vergogne (trop d’ailleurs pour un boîtier classique, mais le Nikon D5 produit des images parfaites à 3200 iso et au-delà).

Le premier voyage de mars était plutôt ensoleillé, celui-ci s’est déroulé sous des ciels couverts – mais intéressants. Je ne suis pas un partisan du grand beau temps en photo de paysage. Le beau temps et la neige donnent toujours des images plaisantes aux Lofoten, mais parfois un peu monotones. Je leur préfère souvent des lumières plus filtrées, des ciels denses et menaçants, ou colorés d’autres tonalités que le (grand) bleu. Et le brouillard ou la brume, a priori désespérants, sont pour le photographe imaginatif (et tenace) l’occasion de trouver d’autres sujets et de composer différemment des images épurées ou minimalistes, comme on le verra.

Village d'Hamnoy, Lofoten.

Village d’Hamnoy, Lofoten. Nikon D5 et 14-24 mm 2,8. 14 mm, 30 s à f11, iso 50.

 

L’un des avantages d’un temps couvert est la possibilité de travailler plus souvent en pose longue pour produire des effets esthétiques particuliers (ici le liseré vaporeux de la mer sur les rochers) sur des photos autrement trop banales, trop vues. Sur ce site célèbre et facile d’accès (Hamnoy), abondamment photographié par tous, il est toujours intéressant de réaliser des variations qui peuvent singulariser un peu une image, et c’est ce que j’ai tenté ici.  

Mais un temps gris … n’est pas souvent et banalement gris, en fait. Il y a tant de nuances, gris plomb, gris métallique, gris-bleu, gris-vert, etc. au fil des heures du jour et de la qualité de la couverture nuageuse, que ces ambiances fonctionnent souvent pour moi comme de puissants stimulants photographiques (sensation que j’ai hélas parfois du mal à faire passer au début auprès de quelques photographes qui ne connaissent pas encore les vertus de ces lumières). Ces éclairages parcimonieux, certes, mais diffus et neutres,  sont en fait une aide à la composition – car en simplifiant les décors et en gommant les ombres, ils permettent de se concentrer sur cette dernière.
La règle est alors de compenser une lumière dite « plate » par un effort supplémentaire et conscient de composition, c’est le prix à payer pour qu’une image « fonctionne » dans ces conditions. Et on se rendra compte, une fois la composition trouvée, que les nuances de gris évoquées plus haut viendront, si elles sont présentes à ce moment, donner la touche finale, parfaire une image réussie. L’image suivante rassemble une composition forte au grand-angle, l’opposition des textures du rocher et de la mer en pose lente, et une tonalité de gris particulière qui la rendent intéressante, en dépit ou à cause d’une météo pas forcément très engageante. De même pour la seconde image.           

Rivage rocheux, Lofoten.

Rivage rocheux, Lofoten. Nikon D850 et 14-24 mm 2,8. 17 mm, 6 s à f10, iso 100.

 

Flakstadoya, Lofoten.

Flakstadoya, Lofoten. Nikon D850, 17-35 mm 2,8. A 28 mm, 10 s à f13, iso 64.

Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin et poursuivons un peu, si vous le voulez bien,  sur le thème du gris et de ses variations … une autre constante est que le gris, comme le noir d’ailleurs, mais avec plus de subtilité peut-être, permet de mettre en valeur des couleurs adjacentes ou contrastantes dans la scène photographiée. Couleurs qui, dans une atmosphère moins neutre, n’auraient certainement pas eu le même impact. Les deux photos qui suivent illustrent ce fait (d’autres photos par la suite aussi, d’ailleurs).
Il appartient alors au photographe de rechercher volontairement des sujets plus colorés pour « compléter » des compositions qui doivent toujours rester assez fortes par elles-mêmes. 

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Port d’Hamnoy, Lofoten. Nikon D5, 24-70 mm 2,8. A 52 mm, 1/30e s à f11, iso 1600.

 

Plage, Flakstadoya, Lofoten.

Plage, Flakstadoya, Lofoten. Nikon D5, 17-35 mm 2,8. A 32 mm, 10 s à f13, iso 200.

 

 

Les couleurs (le rouge, particulièrement) ne manquent pas aux Lofoten et c’est pourquoi je ne m’inquiète jamais de voir une météo perturbée dans ces îles, je sais que les possibilités sont tellement variées et à portée de main que je trouverai toujours des photos intéressantes à proposer, quelle que soit l’ambiance. Les ciels gris sont ici l’écrin de sujets plutôt flamboyants qui s’y trouvent à leur aise.

Mouette tridactyle, Lofoten.

Mouette tridactyle, Lofoten. Nikon D5, 14-24 mm 2,8. A 18 mm, 1/800e s à f8, iso 2500.

 

Eglise, Flakstadoya, Lofoten.

Eglise, Flakstadoya, Lofoten. Nikon D850 et 17-35 mm 2,8. A 26 mm, 1/250 e s, f11, iso 200.

 

  Il est cependant des cas où les conditions de visibilité se réduisent à l’extrême, et où le photographe pourrait penser qu’il a mieux à faire (se reposer, traiter des images, etc) qu’à mettre le nez dehors … Encore une fois, tout est affaire de détermination et de « vision ». « On ne prend pas une image, on la fait », disait Ansel Adams. La capacité que peut avoir le photographe de surimposer sa vision à l’environnement extérieur ne doit jamais être sous-estimée. Si vous voulez vraiment « voir » quelque chose, si votre recherche photographique est intense et orientée, voire acharnée, vous y parviendrez sans doute, y compris dans les pires conditions. Les images qui suivent ont été prises dans une brume généralisée qui semblait dérober à notre convoitise l’ensemble du paysage, hélas. Mais en étant mobiles et attentifs, en recherchant volontairement de « petits sujets » minimalistes (à ce moment on ne voit pas en panoramique), nous avons pu tirer notre épingle du jeu et obtenir malgré tout des images plaisantes et évocatrices.  J’aime plus particulièrement la deuxième, prise dans la brume et une averse de neige, où le dévoilement partiel du pic montagneux et le passage des trois oiseaux n’ont duré que quelques secondes ! 

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Bateau de pêche, Lofoten. Nikon D850, 70-200 mm f4. A 120 mm, 1/250 e à f11, iso 1600.

 

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Oiseaux dans la brume, Lofoten. Nikon D850 et 70-200 mm f4. A 86 mm, 1/320 e à f11, iso 1600.

 

Il faut certes toujours en photo de paysage s’efforcer de composer le mieux possible, en trouvant d’abord des sujets intéressants, puis en s’efforçant de les mettre en relation par des perspectives, des diagonales, des lignes de force, que le photographe doit savoir percevoir et construire, et qu’il illustrera à l’aide d’un bon placement et son choix de focale. Mais, je le redis encore, lorsque la lumière n’est pas spectaculaire, il faut redoubler d’efforts pour faire « tenir » la photo sur ses éléments internes, sans quoi elle risque fortement de tomber dans la banalité.
Des compositions plus osées sont alors souvent les bienvenues pour essayer de renforcer l’impact visuel. 

Sakrisoy, Lofoten.

Sakrisoy, Lofoten. Nikon D850, 17-35, mm 2,8. A 17 mm, 5 s à f13, iso 32.

   Dans cette vue au grand-angle (17 mm), très construite, je me suis ainsi placé extrêmement près des rochers du premier plan, et ai choisi un point de vue proche de la surface pour donner une présence forte au rocher et au varech. J’ai aussi choisi une pose lente (5 s) pour obtenir une meilleure différenciation de ces rochers et « gommer » en quelque sorte la masse liquide. Le premier plan étant par ailleurs complexe, on a tout intérêt en effet à éliminer des vagues qui surchargeraient la photo.
Mais le principal écueil d’une photo de ce type, en très grand-angle avec un fort effet de perspective, est la diminution corrélative de la taille des arrière-plans. Le village au fond pourrait devenir ainsi trop lointain, inexistant, alors qu’il est au départ le sujet principal. Ce problème est évité en partie grâce à ses couleurs vives et chaudes, tandis que la montagne imposante du fond conserve plus naturellement sa place dans l’image grâce à sa taille, bien appréciable, et à l’effet de contraste avec le village.

Sur la composition verticale suivante, la brume sur le sommet de la montagne renforce encore l’impression produite, les éléments colorés du premier plan évitent une image monochromatique, et encore une fois la composition clairement structurée (opposition des verticales  et du bateau horizontal) fait tenir l’image malgré l’absence de lumière remarquable. Il est donc possible de produire des images fortes dans toutes les conditions, à mon avis, et cela dépend avant tout de la motivation du photographe à trouver des sujets qui s’accordent à ces conditions, et à les « construire » photographiquement, choses sur lesquelles nous avons eu le loisir de travailler spécialement, et avec plaisir, lors de ce stage. 

Reine, Lofoten

Reine, Lofoten. Nikon D5, 24-70 mm 2,8. A 24 mm, 1/60e à f11, iso 2000.

 

Un autre exemple de lumière « plate » (mais pas inintéressante), nous est fourni par cette photo de fjord en dégel. Une semaine avant, nous gambadions gaiement sur la glace (voir le compte-rendu précédent), cette fois, les morceaux de glace à la dérive offraient un spectacle bien différent. Le premier plan est graphique, et a immédiatement retenu notre attention, mais il est aussi complexe, et demande à être organisé. Nous nous sommes servis alors de la configuration des berges pour guider le regard vers les montagnes. Le petit arbre à droite est inclus dans l’image pour varier la composition en introduisant une touche de vie dans un monde minéral et glacé.  

Fjord glacé, Lofoten.

Fjord glacé, Lofoten. Nikon D5, 24-70 mm 2,8. A 24 mm, 1/320e à f9, iso 500.

 

Je terminerai ces réflexions sur le gris par une dernière image, fondée elle aussi sur une composition graphique qu’il est inutile de commenter. J’ai voulu là encore introduire une petite touche de vie en attendant qu’un (improbable) promeneur choisisse de sauter le petit ruisseau qui se jette dans la mer et nous offre au passage un si beau premier plan.  

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Ruisseau et plage, Lofoten. Nikon D850, 14-24 mm 2,8. A 24 mm, 1/80 e à f14, iso 800.

 

Malgré tout l’intérêt d’une telle pratique, nous n’avons pas tenté que des variations de gris, et je pense qu’il est temps de laisser place à des images plus colorées ! Je suis en effet toujours fasciné par l’infinie variations des teintes et couleurs d’un paysage au fil du temps et des saisons, et la couleur me manque assez vite (d’où mon peu de pratique du Noir et Blanc, que j’utilise très rarement, peut-être à tort d’ailleurs …). Même par temps couvert, il suffit d’attendre le crépuscule pour retrouver très souvent des couleurs, que ce soit par l’intermédiaire des lumières artificielles, comme sur cette photo de l’église de Reine (photo 1), ou grâce à quelques déchirures dans la couverture nuageuse (photos 2 et 3), ou à la combinaison des deux (images panoramiques 4 et 5 de cette série).  

Eglise de Reine, Lofoten.

Eglise de Reine, Lofoten. Nikon D5, 24-70 mm 2,8. A 24 mm, 1 s à f8, iso 3200.

Plage de rochers, Lofoten

Plage de rochers, Lofoten. Nikon D850, 17-35 mm 2,8. A 22 mm, 4 s à f 13, iso 400.

Séchoir à poisson, Henningsvaer, Lofoten.

Séchoir à poisson, Henningsvaer, Lofoten. Nikon D5, 24-70 mm 2,8. A 24 mm, 1/200e à f16, iso 400.

 

Reine, Lofoten. Panoramique HD.

Reine, Lofoten. Panoramique HD. Nikon D850, 70-200 mm f4. 120 mm, 3 s à f8, iso 400.

 

Reine, Lofoten. Panoramique HD.

Reine, Lofoten. Panoramique HD. Nikon D850, 70-200 mm f4. 70 mm, 10 s à f8, iso 400.

 

Pour l’amateur de scènes typiques, vivantes (enfin pas toujours … photo 1) et colorées, il suffit de se rendre aux bons endroits, le petit port de Nusfjord est l’un d’entre eux, tandis que le grand port de pêche d’Henningsvaer, en soirée, permet d’observer le retour des pêcheurs de morue et tout ce qui gravite autour de cette activité capitale pour les Lofoten …

Nusfjord, Lofoten.

Nusfjord, Lofoten. Nikon D5, 17-35 mm 2,8. 26 mm, 1/50e à f11, iso 1600.

 

Mouettes tridactyles, Lofoten.

Mouettes tridactyles, Lofoten. Nikon D5, 70-200 f4. 70 mm, 1/1600e à f4, iso 640.

 

Henningsvaer, Lofoten.

Henningsvaer, Lofoten. Nikon D5, 24-70 mm 2,8. 24 mm, 1/125e à f8, iso 1250.

 

Henningsvaer, Lofoten.

Henningsvaer, Lofoten. Nikon D5, 24-70 mm 2,8. 34 mm, 1/60e à f8, iso 1600.

Un regret toutefois, dans ce voyage riche en possibilités, l’absence des aurores boréales (cela n’est arrivé qu’une fois ou deux en 12 voyages), en raison des ciels systématiquement couverts la nuit, jusqu’au dernier jour du moins. Une aurore absolument superbe nous a offert alors un cadeau de consolation, mais que nous n’avons pas pu véritablement exploiter photographiquement, étant déjà à bord du bateau de retour (le bateau étant en mouvement, les poses longues nécessaires sont plus ou moins impossibles).
J’en garde un souvenir que ne pourrai jamais tirer en grand, hélas, mais un souvenir quand même, pris à 25600 iso (Nikon D5), avec une pose d’une demie seconde.

Aurore boréale, côte est des Lofoten.

Aurore boréale, côte est des Lofoten. Nikon D5 et 14-24 mm 2,8. 1/2 s à f2,8, iso 25600.

Je remercie évidemment tous les participants, pour leur sympathie, leur motivation sans faille, et leur intérêt pour des techniques comme la pose longue et les compositions millimétrées au très grand angle, par exemple, et j’espère que vous avez vous aussi trouvé votre bonheur parmi les nombreuses images réalisées. A bientôt ! 

Si cet article vous a plu, ou que vous avez des questions, des remarques, etc. , n’hésitez pas à me laisser un commentaire, j’y répondrai avec plaisir, c’est le but d’un blog ! 

© Patrick Dieudonné Photo 2020, textes et images. Toute reproduction ou citation interdites sans accord préalable de l’auteur. 

 

6 réponses à Lofoten 2020, voyage photo (2)

  • Intéressantes lumières même en leur absence apparente. Des photos qui me font regretter de ne pas avoir enchaîné sur le deuxième séjour !!!

    • Salut Claire,
      Oui les goûts de chacun sont différents, je sais que la majorité des photographes préféreront le 1er séjour avec une météo plus dégagée (et des aurores), pour ma part j’ai préféré le second. Nous aurions pu tomber d’accord sur ce point 🙂
      C’est le hasard qui décide … mais enchaîner plusieurs semaines sous ces latitudes (et des sorties nocturnes) demande une santé de fer, d’après mon expérience. Je crois qu’il vaut mieux revenir une autre année, et plusieurs l’ont déjà fait.

      • Je commande donc : la fin du covid, la reprise des voyages photographiques, un retour aux Lofoten avec cette météo (!), un départ avec toi et une équipe sympa pour profiter encore et toujours de tes judicieux, indispensables et inépuisables conseils et de ta bonne humeur et ton entrain qui rendent ces voyages faciles même dans des conditions difficiles !

  • FM dit :

    Superbes et magnifiques images d’un voyage juste avant le confinement !
    Traitées d’une main de MAITRE.
    Ces photos me donnent envie d’aller me mettre au traitement des miennes !!!
    Vivement les prochains voyages dans les pays du nord.
    A bientôt.

    • Merci beaucoup Farimah !
      Oui bien sûr, il faut que tu traites ces images, enfin … Il y avait beaucoup de très bonnes images à faire dans ce voyage et tu dois en avoir aussi un bon nombre, mais il faut les trier et les révéler !! Bon courage !

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